Une lettre d'Addis

Publié le par Nth

Etre "mère célibataire" en Europe, nême si je ne suis célibataire que pour quelques mois... n'est pas vraiment compatible avec l'exercice du blog quotidien, pardonnez donc l'irrégularité de cette chronique et merci d'être nombreux à vérifier fréquemment.

J'ai reçu ce message avant mon départ pour Strasbourg et n'avait pas encore trouvé le temps de la traduire mais il demeure d'actualité, la situation en Ethiopie est inchangée. Les Ferenj bronzeront demain à la piscine du Hilton ou du Sheraton, les Habesha remâcheront leur colère, leur tristesse et plongeront encore un peu plus dans le désespoir.

Certaines de mes sources prédisent une nouvelle éruption de colère mais je ne suis plus en mesure de humer l'air du temps.

Il me semble que les gens sont fatigués de se faire tabasser et torturer au moindre murmure de protestation. Ils n'espèrent plus qu'en la guérilla..

Non content de bloquer TOUS LES SITES d'opposition, y compris mes blogs, depuis deux semaines environ, Ethiopian Télécons fait visiblement de son mieux pour ralentir les connections. surfer, ouvrir une mailbox Yahoo ou Hotmail devient virtuellement impossible.

Pire, le gouvernement a fêté ses quize années au pouvoir et la Banque Mondiale le gratifie d'un beau cadeau. Le fameux Protection of Basic Services project vient d'être approuvé et les millions de dollars vont de nouveau affluer dans les caisses du gouvernement. Ce n'est un secret pour personne, et surtout pas pour Ishac Diwan, le Country Director,  qu'ils serviront en priorité à payer les salaires en retard des cadres du parti et des militaires...

Les anglophones peuvent consulter ce post un peu technique mais argumenté, mon interview d'un expert sur les derniers fonds et prêts accordés au régime.

Enfin, voici une émouvante missive, qui vous en dira bien plus long que je ne saurais le faire sur l'humeur noire des "insiders".

Addis Ferengi

Une lettre d'Addis

Je reviens juste de Piazza, des explosions ont eu lieu à la Commercial Bank ainsi que dans le bâtiment de l' EELPA . La façade ouest de la banque avait vraiment l'air mal en point, les grilles tordues. L'autre bâtiment était nettement moins touché. Le quartier de Gulele était plein de Feds et d'Agazis -militaires- mais je ne sais pas pourquoi.

Mais oui je suis en vie et en forme !  Juste très occupé par un nouveau projet, par ma famille et toujours sur la brèche pour compiler des récits de violiations des Droits de l'Homme, pour le futur... Désolé de ne pas t'écrire plus souvent. Tu sais aujourd'hui, en tant que père de famille, je suis franchement terrifié à l'idée de critiquer ouvertement ce gouvernement. Ils sont impitoyables. S'ils savent que tu es  un dissident, rien ne les arrête et je sais que mon propre gouvernement ne fera rien pour moi, s'il m'arrivait quoi que ce soit. C'est un fait. 

Malheureusement, quelle que soit ma nationalité officielle, la couleur de ma peau prime. Les Blacks et bronzés, africains, afro-américains, antillais ou indiens, sauf lorsqu'ils disposent de la bombe atomique ou d'énormes réserves de pétrole... ne sont rien..

Si tu rencontres  Ana Gobeze, dis-lui que c'en est assez des parlottes, il faut agir. Les coupes dans le budget ne servent pas à grand-chose puisque que le gouvernement pillera son peuple pour combler les trous. Si seulement trois grands pays (les U.S.A., la  France,  l'Allemagne etc.) interdisaient leur sol à Ethiopian Airlines. Ce serait un sacré avertissement pour le chef.  Il est vraiment temps que quelqu'un agisse. Le président japonais était ici il y a une semaine. Une insulte cinglante pour tous les éthiopiens qui souffrent au quotidien et leurs leaders emprisonnés. Le monde continue à passer le message "business as usual".  J'ai voyagé dans le pays récemment; je cherche encore une seule, une seule personne qui soutienne le régime. Si seulement ils les laissaient s'exprimer, leur donnaient accès aux médias. S'ils se croient si populaire, qu'attendent-ils ? De quoi ont-ils peur ? Je te parle avec mes tripes. Quelquefois, je voudrais moi aussi pouvoir aller aux audiences du parlement européen, britannique, au congrès américain et y déverser ma rancoeur. Ce que fabrique la Communauté internationale est incroyable. Ils se contentent d'observer un procès joué d'avance. Le gouvernement ne reculera pas et ne relâchera pas les dirigeants de l'opposition. Ces pays, les diplomates, l'Union Européenne sont  idiots de penser que le "boss" va tenir compte de leur avis. Tu as écouté son interview il y a trois semaines ? Il se fiche ouvertement de leur gueule ! Il les insulte et se fait arrogant. Ces pays et peuples puissants lui font pourtant encore la révérence. 

J'ai visionné les débats télévisés tournés avant les élections. Je n'en croyais pas mes yeux, les leaders de l'opposition et leurs propos étaient si embarassants pour le gouvernement. Ils sont intelligents, honnêtes, démocrates, ce sont de vrais êtres humains, compatissants et en phase avec la population. 

Ils parlent avec la foi, l'honnêteté et la décence de gens biens. Ils parlent avec les mots des gens ordinaires. La vérité leur a coûté cher, la vérité a fait du gouvernement actuel un ramassis de brutes, irrationnelles et implacables. Je pourrais t'écrire des pages, mon amie, mais j'arrêterai là avant de devenir encore plus enragé.

LES MENSONGES

J'étais en province, quelque part, il y a trois semaines environ. J'ai croisé des employés d'ETV Télévision et me suis assis à leurs côtés. Le reporter, après avoir bu son thé, dit au caméraman: "Allons-y, c'est l'heure". Le caméraman lui répondit: “Pourquoi, on a encore deux heures avant de tourner !" L'autre lui dit: "Nous allons tourner des mensonges, la mise en scène prend du temps, il faut les organiser et les rendre cohérents." En amharic cela donne: “Wushetin lemakenaget lemazegajet gize yasfeligenal.” Je n'en croyais pas mes oreilles et ai tenté de leur parler mais les deux m'ont dit: “Tu veux notre mort ?”

LA VERITE

J'étais sur Churchill road et ai été témoin d'une altercation opposant un mendiant et deux fédéraux. Je me suis arrêté pour écouter. Le mendiant disait:  “Demain vous et votre stupide gouvernement tomberez. Peut-être alors serais-je soldat à mon tour et je vous donnerai des coups de fouet. Votre heure viendra, ne vous baladez pas en pensant que vous êtes là pour toujours. Même Mengistu, malgré tout son pouvoir, a du partir. Pourtant son armée regroupait toutes les ethnies. N'oubliez pas que vous ne représentez qu'un coin de Nord". J'étais très étonnée de voir que les deux flics écoutaient sans faire usage de leurs armes. L'un avait un fusil, l'autre une matraque et le mendiant continuait à les invectiver. Après son départ, j'ai suivi les deux hommes pour leur demander pourquoi ils n'avaient pas réagi. J'étais impressionné par leur calme, nous ne sommes pas habitués à rencontrer des fédéraux pacifiques. L'un deux m'a répondu: "Nous ne sommes pas tous pareils". Mais vous êtes armés, lui dis-je. "Ce flingue est comme le porte-monnaie de ma soeur, il est gros mais vide. Personne ne nous fait assez confiance pour nous le remplir." Je les assurai de mon respect et repris mon chemin.  

Plus tard, je me suis demandé combien la vérité devait hanter le gouvernement malgré les mensonges qu'il répand. Dans tout çà, beaucoup d'entre nous oublient que bien des membres de la police, de l'armée, de l'administration ne le soutiennent pas non plus.

Bizarre...

Samedi dernier, un ami britannique a voulu prendre un bus pour Shashemene. Il était à bord depuis deux heures mais le véhicule demeurait immobile. Finalement tous les passagers ont été débarqués parce que l'armée avait réquisitionné le car. Ce jour-là, donc, aucun transport public n'a assuré la liaison. Nous avons tenté d'en savoir plus mais en vain. Certains ont juste évoqué des conflits ethniques dans le coin.

Addis est très calme et les gens en colère. Ils ont renoncé. Les efforts de Tegbar tombent à l'eau. Je ne sais même pas pourquoi ils continuent... Les gens sont terrifiés.  Chacun d'entre nous est contrôlé comme un robot. Que sommes-nous censés faire lorsque nos corps, esprits et âmes sont englués de peur ?  Mais que quiconque lance un appel au combat armé et des milliers le rejoindront. Des tas de gens me disent que la prochaine stratégie incluera des attaques ciblées contre les étrangers et leurs familles, surtout les allemands, les britanniques, les américains et les japonais.. Un gosse de 17 ans, emprisonné quelques temps à Dedessa, m'a confié qu'il envisageait de se suicider. 

S.




Blogueuse censurée en Ethiopie
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article